Joint ce vendredi à la vacation hebdomadaire de « Brest Atlantiques », Charles Caudrelier a raconté le passage du Cap et les conditions rencontrées par le Maxi Edmond de Rothschild le long des côtes namibiennes.

Le passage du Cap. « Le Cap, ça m’a rappelé les éditions de la Volvo Ocean Race, des arrivées superbes, beaucoup d’émotions, plein de souvenirs de famille avec les enfants, mais aussi les rencontres, les visites... on a eu des regrets de ne pas s’arrêter, mais c’est comme ça. Et surtout, pour nous, l’objectif était de trouver comment passer sans trop perdre, parce qu’on sait très bien que Table Mountain coupe le vent et qu’il y a toujours une zone très délicate à passer qui nous inquiétait, avec des transitions hyper brutales, tu passes de 30 nœuds à 3 nœuds en 200 mètres, ensuite, tu reprends 30 nœuds en 200 mètres, c’est toujours dangereux. Il y avait aussi beaucoup de poissons et de filets. »

La remontée des côtes africaines. « C’est inédit pour nous tous, je crois, c’est assez particulier, parce que nous sommes le long d’un continent très chaud avec une eau très froide, ça nous fait un vent hyper bizarre. Parfois, on a 20 nœuds de vent, mais ça n’avance pas, parce qu’il n’y a pas de vent en surface à cause de l’eau froide, et parfois, on a 20 nœuds et on va à fond. Donc c’est compliqué, on ne sait jamais trop où aller, il y a beaucoup de rotations de vent, d’effets de côtes, il faut aller jouer à la côte la journée, mais pas la nuit, c’est assez technique, on « jibe » beaucoup, c’est fatigant. Et on est stressés par les collisions. Cette nuit, on a tapé quatre-cinq morceaux de je ne sais pas quoi, donc c’est plutôt ça qui nous inquiète. On a hâte de s’écarter des côtes qui sont très poissonneuses, il y a aussi des troncs de bois. Cette nuit, on a cru que la course allait s’arrêter, on n’a rien mais c’est un miracle. »

Les capacités du bateau à voler à différentes allures. « Le bateau vole bien. Par rapport aux autres, on a une capacité à voler un peu plus tôt, c’est un avantage et ça nous permet aussi de bien passer dans la mer. Maintenant, on a moins volé qu’on ne le voulait parce qu’on a eu une avarie de plan porteur qui ne nous a pas permis de voler avant Bahia, on a perdu beaucoup quand on est passés en mode non-volant, ce ne sont pas du tout les mêmes performances. C’est nouveau, si on arrive à rentrer à Brest, ça sera la première fois qu’un bateau en mode volant arrive à faire autant de milles. On est sûrs que c’est l’avenir. Au début quand ils ont conçu le bateau, on n’y croyait pas trop, on voyait qu’on volait sur eau plate sur la Coupe de l’America, mais voler dans la mer, c’était autre chose, le Gitana Team l’a fait, a prouvé que c’était possible, maintenant, tout le monde va aller dans cette voie-là. »

La stratégie à venir. « Les gens qui sont à terre ne doivent pas comprendre pourquoi on va vers le Brésil alors que Brest, c’est au nord. Le problème, c’est qu’il y a une zone sans vent le long des côtes africaines qui forme un triangle et dont la pointe est vers l’ouest, en général, on essaie de passer à la pointe. Mais aller à la pointe, ça veut dire rallonger la distance énormément, c’est tout le dilemme. Et c’est l’attaque la plus sévère que peuvent porter un moment nos camarades : ils peuvent se dire qu’on a été trop loin et du coup, ils vont couper. Et les 300 milles d’avance qu’on a, si on va trop loin dans l’ouest, on peut les perdre et se retrouver à égalité. Maintenant, c’est bien de couper à l’est, mais après, tu te retrouves face au vent pour remonter, alors qu’à l’ouest, tu te retrouves à chercher des dépressions avec un meilleur angle. C’est toute la difficulté et comme l’Atlantique Nord, c’est encore très loin, dans six jours, on ne sait pas encore quelle va être la météo. Là, pour l’instant, je pense que tout le monde va avoir à peu près la même stratégie, parce qu’il n’y a pas du tout de vent dans l’est, tout le monde va aller un peu vers l’ouest, mais toute la question est de savoir jusqu’où. Ce n’est pas évident et le danger, pour nous, leaders, c’est de voir quelqu’un couper. S’il fait la même route que nous, on va garder notre avance si on n’a pas d’avarie, mais s’il coupe, il peut revenir. Donc c’est la grande question et je n’ai pas la réponse. »

Photo : Yann Riou/PolaRyse/Gitana SA