Arrivés à la troisième place de « Brest Atlantiques » samedi à 12h29’22’’ après 32 jours 1 heure 29 minutes et 22 secondes de mer, Yves Le Blevec et Alex Pella, accompagnés du media man Ronan Gladu, ont livré leurs sentiments après ces 32 jours de course à bord d'Actual Leader.

Quel est votre sentiment au moment d’arriver à Brest ?
Yves Le Blevec : Nous sommes ravis d’arriver, nous nous sommes fait une boucle atlantique incroyable avec des cadences un peu infernales, on n’a pas arrêté, il n’y avait pas de temps morts, la course a été éprouvante. Le rythme a été soutenu et nous, nous sommes vraiment contents parce que nous avons exactement tenu le rythme que nous souhaitions au départ, qui est un rythme élevé, mais on savait bien qu’en vitesse pure, nous étions parfois tellement déposés que ça ne servait à rien de naviguer à 110% et de risquer de tout casser. Donc nous nous sommes mis à un seuil rapide, mais qui nous paraissait raisonnable et ça a marché, je pense que nos amis de MACIF ont eu peur jusqu’à hier soir.

Comment avez-vous vécu cette bataille avec le trimaran MACIF ?
Yves Le Blevec : Je pense que vous ne l’avez pas vécue de la même façon que nous. Nous, on voyait bien qu’ils n’étaient pas loin, plusieurs fois, nous les avons vus à l’AIS, ça voulait dire qu’on était vraiment au contact, mais on s’est vraiment donné comme règle de ne pas modifier notre façon de naviguer pour justement rester forts sur ce que nous estimions la bonne façon de naviguer, c’est-à-dire de ne pas faire de bêtises et de continuer avec un bateau intact, et à l'arrivée, on n’a rien cassé qui nous a ralentis. C’était pour nous la seule façon de tirer notre épingle du jeu, nous avons été très soigneux du bateau, parfois au détriment de la vitesse, mais aujourd’hui, Actual Leader, tel que vous le voyez, à part deux-trois bricoles, il est prêt à repartir. Nous, on va faire une pause…

Franck Cammas disait mercredi à l’arrivée du Maxi Edmond de Rothschild que c’était une des courses les plus difficiles qu’il ait faites, est-ce aussi votre avis ?
Yves Le Blevec : Il dit ça parce qu’il n’a pas fait la Mini ! C’est vrai que c’était dur. Ce sont des bateaux très puissants, physiques, à partir du moment où tu veux les mener proches de 100%, il faut manœuvrer sans cesse et chaque manœuvre est une dépense d’énergie énorme. C’est vraiment éprouvant, et dans la durée, parfois, avec Alex, on se regardait et on se demandait : « Tu ne te sens pas un peu fatigué ? ». En général, il y en a toujours un pour rattraper l’autre, mais là, parfois, on était tous les deux rincés.

Comment ça s’est passé avec Ronan Gladu ?
Yves Le Blevec : Il a roulé le gennak tout à l’heure, c’était sa seule manœuvre de « Brest Atlantiques », le gage qu’on lui avait donné ! Sinon, c’était super, le fait d’avoir quelqu’un à bord qui raconte l’histoire avec son regard, avec son sentiment, c’est parfait. Nous, on ne lui donnait aucune limite, il n’y avait aucun tabou à bord, il pouvait dire tout ce qu’il voulait pour retranscrire au mieux l’intimité du bord d’Actual.

Et toi, Ronan, que garderas-tu de ces 32 jours de mer ?
Ronan Gladu : Un peu tout. C’était génial, incroyable, une super expérience. J’ai appris énormément de choses. J’ai l’impression d’être parti 32 ans plutôt que 32 jours. C’est quand la prochaine ? C’est un format très spécial, je ne sais pas si ça se refera, mais j’aurais carrément envie de repartir. Les conditions de travail étaient parfois très compliquées, mais je le savais et ils ont vraiment pris soin de moi, ils m’ont bien expliqué tout un tas de choses, c’était très agréable. Et c’est plus Alex qui faisait la cuisine que moi, il m’a aussi donné des leçons de cuisine !
Yves Le Blevec : Et Ronan, il a eu chaud. En fait, il y a eu plein de moments où on a eu très chaud, ça fait partie des choses sur la « job list », on a noté quelques lignes de choses à améliorer et notamment de travailler sur l’aération du bateau, parce que parfois, c’est l’enfer, il fait trop chaud. Les ordis fument et les utilisateurs, ils n’y arrivent plus.

Les moments les plus difficiles ont-ils été les quelques jours après Rio dans du vent et une violente mer de face ?
Yves Le Blevec : Oui, c’était dur. Nous, on a vraiment levé le pied, parce que c’étaient typiquement des conditions dans lesquelles c’était facile de démolir le bateau. Il y avait du vent qui permettait d’aller vite, mais avec les vagues de face, il y avait moyen de tout casser. Donc nous, on a été vraiment hyper prudents, pendant 24 heures, on a été à 50% du potentiel du bateau. C’était très inconfortable, à chaque vague, on se demande ce qui va casser. On finit par faire corps avec le bateau, on sent bien qu’on le maltraite, que ce n’est pas normal. Ça fait mal au corps.

Trois bateaux sur quatre à l’arrivée, peut-on parler de test réussi pour « Brest Atlantiques » ?
Yves Le Blevec : Oui, on aurait évidemment préféré être quatre sur quatre, il va falloir débriefer là-dessus, mais c’est parfait. Et nous, un podium, nickel ! C’est inespéré. Mais surtout, ce qui était inespéré pour nous, c’était de se retrouver plusieurs fois dans le paquet. Gitana a fini par s’échapper un peu à partir du Cap, mais on était dans le match, on était là, ce qui, au départ à Brest, n’était pas joué.

Un mot justement sur les vainqueurs, Franck Cammas et Charles Caudrelier ?
Yves Le Blevec : Le boss de « Brest Atlantiques », c’est Gitana, ils ont maîtrisé la course du début à la fin. Dès le départ, ils ont mis la cadence, ils ont eu un petit souci et se sont arrêtés, mais on a vu dans la remontée depuis Le Cap qu’ils étaient hyper à l’aise en vitesse. Pour le coup, c’était leur course, ils ont maîtrisé l’outil, la trajectoire et la vitesse, mais ils ne sont arrivés que trois jours devant nous.

A propos de trajectoire, un mot sur votre routeur, Christian Dumard ?
Yves Le Blevec : La collaboration avec le routeur est une histoire incroyable parce qu’on n’arrête pas d’échanger. On ne se parle pas beaucoup au téléphone, c'est beaucoup par « chat », on se transmet beaucoup d’infos et de photos, mais Christian, on peut l’appeler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, il a toujours la réponse pertinente à la question qu’on se pose. C’est super important et rassurant de pouvoir « appeler un ami » quand on a une interrogation. Il n’y a pas eu de désaccords avec lui, parce que c’est hyper clair : si on lui dit une fois qu’on ne sent pas son option, il ne va pas revenir en essayant de nous convaincre. Le routeur s’adapte au marin et le marin s’imprègne de la connaissance du routeur, il y a un vrai échange.

Alex, quels auront été pour toi les bons moments de « Brest Atlantiques » ?
Alex Pella : C’est déjà d’être au départ, mais aussi d’être ici aujourd’hui. Quand Yves m’a proposé de venir, il m’a décrit la course, ça s’est exactement déroulé comme il me l’avait dit. On est vraiment contents de notre parcours, tout l’ensemble a donc été un bon moment. Après, comme l’a dit Yves, ce sont quand même des bateaux très exigeants, physiquement et mentalement, il y a beaucoup de stress, le bateau part souvent en survitesse dans des mers croisées. Parfois, c’était difficile, parce que le bateau tapait dans les vagues et les autres partaient parce qu’ils passaient mieux dans les vagues. Il fallait donc arriver à rester sereins, à ne pas s’emballer, en se disant que ça allait le faire après. Et en fait, on a tout le temps fait l’accordéon, on a toujours été dans le paquet, donc ça, ça reste de bons moments. Et il y a eu la cuisine du calamar qui était vraiment sympa.

Et les côtes namibiennes que vous avez longées ?
Yves Le Blevec : C'était incroyable, ce bord le long du désert du Namib ! On est passés dans des endroits où personne ne va jamais, c’était dingue. Au début, quand on est arrivés sur la côte, je pensais que c’étaient des nuages, parce que c’était blanc, mais en fait, en s’approchant, on a vu que c’étaient des dunes de sable, c’était magique. On est passés devant une sorte d’Etretat avec une énorme arche. S’il y a une image de cette course, c’est celle-là, le fond d’écran de mon ordi, je l’ai !

Photo : Arnaud Pilpré/Brest Atlantiques