Voici le mot du bord envoyé de dimanche 18 novembre par Ronan Gladu, media man à bord d'Actual Leader.

"La vie est toujours dure sur Actual Leader, alors que nous entamons ce troisième jour (ou quatrième ? Je ne sais plus !) à nous battre avec cette tempête en Atlantique sud. Depuis Rio, nous n'avons pas vu le soleil, il pleut et il fait de plus en plus froid à mesure que l'on plonge dans le sud. Nous ne sommes plus au près, la mer est toujours pourrie, mais de manière moins fréquente : le bateau accélère sur les portions « plates » pour une sanction deux fois pire à la première double vague qui gonfle : encore plus violent et flippant !

Du coup, à force de maltraiter le trimaran, la casse arrive : hier samedi à la tombée de la nuit, la « bâche aéro » s’est arrachée dans une vague. En dessous et une partie seulement, au vent et sur bâbord. Qu’est-ce que c’est que ce truc ? C’est le carénage situé derrière la poutre avant, pour un meilleur écoulement de l’air, qui tient également… tout le filet !! Si la bâche lâche, c’est tout le « trampoline » bâbord qui part à l’eau : catastrophique. Yves et Alex se sont battus jusqu’à la nuit pour stopper l’hémorragie. Pour l’instant, ça tient. Mais il faut absolument envisager une vraie réparation, seulement là, la mer est démontée… Et il y a une autre urgence : le front de la tempête se rapproche dangereusement derrière nous !

La réparation de fortune nous a mis dans une situation délicate : d’après notre routeur, le front n’est plus qu’à 30 milles et il avance vers nous à une vitesse indéterminée (de 20 à 35 noeuds en gros). S'il nous rattrape, le vent va adonner et faiblir… Et on se retrouvera derrière, sans vent, avec la mer démontée : la course sera finie. Il faut que l'on arrive à se faire pousser dans l’anticyclone qui est devant, avec les autres. Pour ça, on doit rester en avant jusqu’à lundi matin.

Mais la pluie redouble d’intensité, le vent commence à faiblir, et tourner nord-ouest : c’est la cata, il arrive ! Branle-bas de combat à bord : on enlève un ris ? Non, on envoi le J2 ! Et c’est parti pour une course folle avec les nuages qui va durer presque toute la nuit. Alex me briefe, une main sur chaque écoute : Tu vois, ça, c’est la direction du vent : en-dessous de 10°, on est mort. En-dessous de 20 nœuds de vent, c’est cuit aussi ! L'anémomètre évolue en permanence, jusqu’à un vent plus bas de 14 noeuds au 345°… Yves grogne, Alex se cache les yeux pour ne pas voir les chiffres, « ça peut être encore un grain devant le front, si c’est le cas, ça va repartir fort, faites attention ».

Paf, d’un coup le vent monte à 25-28 noeuds au 15°, le trimaran vrombit, s’envole à l’abattée (il passe de 18 à 30, 35 noeuds de vitesse !)… Impossible de tenir debout, nos cœurs font des bonds pendant qu’Alex choque tout ce qu’il peut, tout en essayant de ne pas se faire embarquer par l’écoute et les mouvements du bateau. Tout ça sur fond sonore de vent, pluie battante, sifflement, craquement du carbone et hurlement des bouts qui dérapent sur les winchs !!

C’est chaud, mais au moins, on est devant, jusqu’à la prochaine molle ! Moi, je suis littéralement jaune de trouille, le palpitant à 100 mille. Je finis par aller me réfugier dans ma bannette : littéralement cramponné au carbone à chaque accélération, le bateau finit par sauter sur une vague. Silence et haut le cœur, puis fracas terrible à la réception - le corps s’enfonce dans le pouf - pour finir par le « coup de fouet ». Effet caractéristique des multicoques en carbone, le peu de déformation de la plateforme se transmet sous forme d’onde de choc dans le bateau, dans nos corps. Un peu comme un tremblement de terre. Bref, je n'ai évidemment pas dormi de la nuit et j’ai des crampes partout, à force d’être crispé à chaque départ enflammé !

Yves & Alex n'ont bien sûr pas dormi. Après un « beau planté », ils ont réduit le J3 et continué à accélérer avec la moindre risée… Mais ils l’ont fait !! Apparemment, nous avons la deuxième vitesse moyenne la plus rapide de la flotte cette nuit, mème si c’était avec les nuages que l'on se battait ! Là, nous fusons littéralement à plus de 30 noeuds dans une mer un peu plus rangée mais avec de belles rampes, qui me permettent encore de voler au plafond en écrivant ces lignes ! On est toujours en mode #VieDesbetes, nous avons sorti nos sous-combinaisons en Gore-tex pour tenter de chasser l’humidité du ciré… et du bateau : il y a de l’eau partout au fond de la coque. Ça fait deux jours que je ne mange pas, je n'ai pas envie de voler à travers le bateau une fois sur « le trône » ! Mais j’ai enfin pris le pli de pisser au milieu du cockpit et des discussions… #VieDesBetes. Ce soir, le vent forcit, « 30 noeuds fichier », j’espère qu’Yves et Alex vont s’accorder sur un troisième ris !"

Photo : Ronan Gladu/Actual Leader