La troisième conférence de présentation des teams sur le village de Brest Atlantiques a eu lieu vendredi au sein de l’espace animations. L’occasion pour les deux skippers du Maxi Edmond de Rothschild, Franck Cammas et Charles Caudrelier, d’échanger avec le public et d’évoquer leurs ambitions. Morceaux choisis…

Les difficultés de Brest Atlantiques

Charles Caudrelier : « La grosse difficulté, c’est d’arriver à trouver le bon rythme. Par rapport au monocoque, où on cherche toujours à être à 100% parce qu’il n’y a pas le risque du chavirage et que les bateaux sont en général moins fragiles, en multicoque, la question est de savoir où on place le curseur. Il faut trouver le juste milieu, éviter de s’emballer, c’est la plus grosse difficulté pour nous, parce qu’on n’a pas assez d’expérience sur ces bateaux volants. »

Franck Cammas : « La difficulté, c’est déjà de mener ce bateau, les multicoques sont des bateaux dangereux dans du vent instable, il y a toujours le risque du chavirage, on est à la limite pour faire avancer le bateau, et cette limite, c’est le chavirage. Donc il ne faut jamais la dépasser et sans cesse adapter la surface et le réglage des voiles. Comme on est deux à bord, les manœuvres sont assez longues, donc il faut être très attentif, imaginer ce qu’il va se passer dans les minutes qui suivent, regarder le ciel, connaître la météo des heures à venir pour toujours anticiper. Souvent, on est même obligé de faire la manœuvre avant que le vent change. Après, sur le parcours, il y a des zones météo plus ou moins dures, la sortie du Golfe de Gascogne n’est jamais évidente, il y a aussi l’Atlantique Sud où on est proche des quarantièmes rugissants dans des dépressions puissantes avec une houle forte. Il va y avoir une traversée entre Rio et Le Cap très rapide, très excitante, surtout sur un bateau volant, mais on ne va pas dormir sur nos deux oreilles pendant cette traversée. Il y a aussi des icebergs, le comité de course a pris ses dispositions pour mettre en place une limite Sud, il faut surveiller la température de l’eau et regarder le vent, il y a toujours un risque à un moment. »

Le Maxi Edmond de Rothschild

Franck Cammas : « Avec Charles, on est arrivés en mai, on a commencé à découvrir le bateau, on a essayé de connaître ses limites, on l’a réglé avec nos sensations, on a essayé d’avoir un esprit neuf sur le sujet. On a aussi envisagé des modifications qui pouvaient être faites cette année et l’année prochaine, avec l’équipe technique et le bureau d’études. L’objectif est toujours d’être au maximum du bateau, mais ce ne sont pas des bateaux simples, ils sont capables de voler, ça complexifie les réglages, avec des appendices qui nécessitent de régler au demi-degré près chaque angle d’incidence pour que le vol soit le plus stable et le plus performant possible. Ça demande pas mal d’heures sur l’eau, à chaque fois qu’on sort en mer, on découvre de nouvelles choses et on va en découvrir beaucoup d’autres pendant Brest Atlantiques parce qu’on n’a pas encore navigué autant que certains de nos concurrents, on n’est là que depuis cette année. »

Charles Caudrelier : « J’ai découvert ce bateau avec beaucoup de plaisir, ce sont des bateaux qui font rêver, il n’y en a pas beaucoup au monde. Pour moi, le vol, c’était quelque chose de nouveau, contrairement à Franck qui a fait beaucoup de vol sur les bateaux de la Coupe de l’America. J’ai bénéficié de son expertise et de celle de l’équipe, et on se rend compte qu’assez rapidement, on se sent très à l’aise. Le sentiment de sécurité sur le bateau est assez impressionnant par rapport aux vitesses qu’on atteint. A chaque sortie, on découvre, et cette course va être une bonne préparation pour le futur. »

Les sensations de vol

Franck Cammas : « Ce n’est pas tout à fait pareil que sur la Coupe de l’America, parce que le bateau fait 16 tonnes et 32 mètres de long, lorsqu’on se met à voler, il y a quand même de l’inertie,  l’accélération n’est pas aussi forte que sur les petits bateaux de 3 tonnes. Après, une fois en vol, l’enjeu est le même, à savoir le réglage des appendices pour essayer de réguler l’assiette longitudinale et latérale du vol, on a quatre points d’appui. C’est en revanche plus violent dans de la mer formée, on touche parfois le sommet des vagues, ça nous arrive de décrocher quand le foil ne touche plus l’eau, donc pour éviter le crash et pour continuer à voler, il faut toujours réussir à garder nos appendices dans l’eau. »

Charles Caudrelier : « J’ai été bluffé, parce que j’ai navigué pas mal en multicoque, mais sans les foils, la différence est impressionnante. Finalement, on va plus vite, mais on le sent moins. Je me souviens que sur les premières navigations sur le maxi Banque Populaire V, dans 20-21 nœuds au près, c’était très casse-bateau, ça tapait très fort, on se sentait obligés de ralentir. Là, on atteint 27-28 nœuds par 3-4 mètres de mer, ça passe, ça fait vraiment comme des suspensions. La difficulté est d’arriver à voler tout le temps, on est au début du vol au large. »

Le sommeil

Franck Cammas : « C’est bien d’être à deux ! On va faire des quarts autour de deux heures chacun. Celui qui est de quart s’occupe de la vitesse du bateau, du pilotage, parfois à la barre, parfois avec le pilote automatique, et il est sans cesse sur les écoutes, prêt à choquer si le bateau monte trop haut et qu’il y a risque de chavirage. Il faut vraiment faire confiance à l’autre pour que le repos soit efficace. Les cycles de sommeil sont d’une heure trente, c’est beaucoup mieux qu’en solitaire où on fait des petites sieste d’un quart d’heure/vingt minutes. »

Le temps de course et l’objectif 

Franck Cammas : « On a fait de statistiques, les routages nous donnent entre 26 et 32 jours, c’est assez long, puisque le record du tour du monde en solitaire, c’est 42 jours. Niveau classement, s’il y en a trois derrière, on sera contents. Mais ce qu’il faut, c’est que les quatre arrivent, c’est important pour la classe, cette course est une étape pour le futur et pour les tours du monde à venir, puisque ces bateaux sont conçus pour ça. C’est déjà une belle étape de faire 30 jours en course à deux, ça n’a jamais été fait sur les bateaux de cette taille. »


Media man sur le Maxi Edmond de Rothschild, Yann Riou est l'un des pionniers dans le domaine, puisqu'il était de la première Volvo Ocean Race suivie par un homme en mer, sur Groupama 4, en 2011/2012. « J’ai effectivement commencé sur la Volvo Ocean Race, déjà avec Franck et Charles, ça fait quelques années que je pratique cette activité à bord des bateaux. Mon boulot à bord, c’est de raconter ce qui se passe, je n’ai pas le droit d’aider mes deux collègues pendant les manœuvres, ce qui me permet d’avoir mes deux mains libres pour utiliser ma caméra, faire des images et ensuite les envoyer à terre pour faire partager l’aventure au plus grand nombre. » Franck Cammas ajoute : « Yann prend son quart de repos à 8 heures du soir, on le voit le lendemain à 8 heures du matin, il ne fait pas des images de nuit, il a une bonne excuse pour dormir. Par contre, il nous prépare à manger ! » « Je n’ai pas d’obligation pour le sommeil, je me repose un peu quand je veux, c’est plus confortable,  confirme Yann Riou, mais je ne fais pas non plus des nuits complètes, ça m’arrive de me lever pour voir ce qu’il se passe. »